Rue des Voleurs by Mathias ENARD

Rue des Voleurs by Mathias ENARD

Auteur:Mathias ENARD [ENARD, Mathias]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Literary, General
ISBN: 9782330013301
Google: cQNN2wL5JOgC
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2012-08-21T22:00:00+00:00


C’est arrivé en janvier. Un coup du Destin, un de plus ; alors que nous n’avions pas touché un centime de nos salaires depuis septembre, que je finissais par désespérer, par envisager très sérieusement de rempiler chez les Poilus morts, que Judit ne me donnait presque plus de nouvelles, répondait très laconiquement à mes messages et que je commençais à soupçonner qu’elle avait rencontré quelqu’un d’autre, un soir, alors que nous étions arrivés à Algésiras le matin comme d’habitude et avions attendu toute la journée l’ordre d’appareiller sans comprendre pourquoi nous ne partions pas, le capitaine nous a convoqués. Nous étions trente-deux dans la cafétéria. Il faisait une drôle de tête, surpris, peut-être, ou abattu, ou les deux à la fois. Il n’y est pas allé par quatre chemins. Il a dit les gars, les bateaux sont saisis par la justice espagnole. On ne peut pas bouger d’ici jusqu’à nouvel ordre. La compagnie doit des millions d’euros de carburant et de droits portuaires. Voilà. Il a levé les yeux vers la salle. Tout le monde a commencé à parler en même temps. Il a répondu aux questions les plus proches. Oui, vous pouvez rentrer à Tanger sur un ferry de la concurrence, ils vous prendront, bien sûr. Mais ce sera considéré comme un abandon de poste, une rupture de contrat et vous perdrez tous vos droits sur vos salaires impayés en cas de vente des navires. Enfin c’est ce que j’ai cru comprendre.

Ça paraissait complètement absurde. On était bloqués dans le port d’Algésiras. Bon, moi, je vais rentrer, j’ai pensé. Retrouver M. Bourrelier et la guerre de 14, que je n’aurais jamais dû quitter.

Le capitaine continuait à répondre aux questions.

— Par chance les réservoirs sont pleins, on a du carburant pour l’électricité et le chauffage pour un bon bout de temps. On devrait pouvoir se débrouiller aussi pour ne pas mourir de faim. Au pire on se fera ravitailler depuis Tanger par les collègues.

— Moi je suis obligé de rester, oui. Mais vous… C’est comme vous voulez.

— Deux semaines, peut-être. Peut-être moins. Il suffirait que la compagnie paye une partie de l’ardoise pour que la saisie soit levée.

— C’est pas la place qui manque, hein. On a toutes les cabines… Doit même y avoir des draps et des couvertures en rab.

— Je ne sais pas, on peut jouer aux charades. Si on était dans la marine militaire, on en profiterait pour repeindre la coque.

Il s’est mis à se marrer. Il y avait plusieurs types qui rigolaient, d’ailleurs. Mais aussi d’autres qui trouvaient ça beaucoup moins drôle. Ceux qui avaient femmes et enfants à Tanger, par exemple. C’était une étrange sensation que d’être coincés ici à dix milles de chez nous : moins d’une heure de vélo en terrain plat.

Le lendemain, la nouvelle était dans le journal local, que nous ont apporté les dockers espagnols :

Un nuevo drama laboral en el sector marítimo recala en el puerto de Algeciras. Un total de 104 marineros, los que componen la tripulación de los



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.